"Les géants de la forêt disparaissent en silence"
Les très grands arbres sont les premières victimes de la déforestation,
selon le professeur australien William Laurance
Le déclin des très grands arbres est observé à travers le monde. De nombreuses études documentent ce phénomène aux multiples causes. Spécialiste des milieux tropicaux, William Laurance, professeur à l'université James-Cook de Cairns (Australie), a recensé ces travaux dans un article paru dans New Scientist du 28 janvier 2012.
Le chercheur met en garde contre la disparition de ces "cathédrales" dont dépendent en partie l'architecture complexe des forêts anciennes, la survie de nombreuses espèces animales et la pérennité des plus grands puits de carbone à la surface de la Terre.
Dispose-t-on de données suffisantes pour établir un diagnostic global ?
Beaucoup d'études - en Amérique du Nord comme du Sud, en Afrique, en Australie, etc. - montrent que les très grands arbres sont menacés. Partout, les géants de la forêts disparaissent en silence.
L'exploitation forestière est la raison la plus évidente mais il existe des causes plus insidieuses comme une plus grande vulnérabilité aux sécheresses, aux tempêtes, aux plantes invasives, aux maladies ou encore à la fragmentation des habitats. Le plus souvent, ces causes se cumulent. Il demeure plus difficile d'avancer des données sur des essences particulières. Par exemple en Australie, nous savons que les pins kauri du Queensland (Agathis robusta) (qui atteignent 30 à 40 m à maturité) ont en grande partie disparu, mais nous possédons peu d'informations sur les "survivants" actuels.
Quelles sont les régions du monde les plus touchées ?
Les forêts tropicales et boréales - en particulier la Sibérie et l'ouest du Canada - reçoivent, si on peut utiliser cette image, un véritable coup de marteau sur la tête. Elles sont défrichées et exploitées à un rythme très rapide.
Pourquoi ces "géants" sont-ils si importants ?
Ces arbres, dont la hauteur atteint plusieurs dizaines de mètres, constituent les plus grands organismes végétaux sur terre. Ils jouent un rôle écologique essentiel. C'est autour d'eux que s'ordonne l'architecture des forêts dont ils stockent la majorité du carbone. Avec leur imposante canopée baignée par le soleil, ils forment des greniers qui produisent des graines - une quantité très importante qui permet à la forêt de se régénérer de génération en génération -, des fleurs et d'autres aliments dont les animaux dépendent pour leur survie. Ils abritent beaucoup d'organismes vivants qui trouvent refuge dans leurs troncs et leurs innombrables cavités.
Avec leur appétit insatiable pour la lumière, les nutriments et l'eau que leurs racines peuvent aller chercher à de grandes profondeurs, ils dominent la compétition que se livrent les autres arbres pour exister à l'ombre de leurs cimes. Oubliez les lions, les grands arbres sont les véritables rois de la jungle !
Comment expliquez-vous cette vulnérabilité particulière ?
Peu d'espèces ont la capacité génétique de développer des tailles gigantesques et il faut de longues périodes de stabilité écologique pour qu'un tel arbre atteigne sa maturité. Certains spécimens d'Amazonie ont entre 400 ans et 1 400 ans. En Amérique du Nord, des séquoias peuvent atteindre 3 000 ans. Or, cette stabilité nécessaire n'est pas vraiment la caractéristique de notre époque, marquée au contraire par des transformations très rapides de l'environnement. Le changement climatique accroît cette vulnérabilité aux sécheresses et aux feux.
En Amazonie, nous avons constaté des taux de mortalité trois fois supérieurs chez des très grands arbres situés dans des parcelles isolées bordées de pâturages. Les raisons ? Leur tronc, souvent étroit et rigide, résiste moins bien aux cyclones et les sécheresses ont un impact plus marqué du fait des terres à nu qui les entourent. Dans un sol plus chaud et plus sec, il leur est alors plus difficile d'aller puiser de l'eau dans le sous-sol.
L'impact du changement climatique est controversé. Certains scientifiques affirment qu'il pourrait avoir des effets positifs sur la croissance des arbres ?
Certaines études montrent en effet qu'un niveau plus élevé de dioxyde de carbone dans l'atmosphère stimule la croissance car les plantes utilisent le CO2 pour leur photosynthèse. Cependant, nous avons aussi des preuves que la croissance des grands arbres, surtout dans les parties les plus chaudes de la planète comme les tropiques, souffre de l'élévation des températures. Car les arbres sont comme des animaux à sang froid : quand les températures augmentent, ils doivent brûler plus d'énergie pour survivre et ils en ont donc moins pour grandir.
A quoi ressemblerait la forêt sans ces "arbres cathédrales" ?
Ce serait un monde plus pauvre pour nous tous, avec des forêts moins étendues et plus uniformes. Les vieux monstres laisseraient la place à des espèces pionnières à croissance rapide, capables de s'adapter à peu près partout. La forêt stockerait moins de carbone et les "arbres cathédrales" seraient un souvenir du passé.
Que faut-il faire pour les sauver ?
Il faut agir sur toutes les causes qui participent à leur disparition et commencer par arrêter l'exploitation forestière qui prélève en priorité ces spécimens uniques. La lutte contre les plantes invasives et les nouveaux pathogènes doit aussi devenir une priorité. L'ouverture de routes dans les forêts crée des brèches qui favorisent l'avancée de ces envahisseurs jusqu'aux endroits les plus reculés.
Le Monde
Par Propos recueillis par Laurence Caramel
Publié le 01 mars 2012
Mis à jour le 07 décembre 2012